Restaurant français à Shanghai, l’Affini-Thé
Posté par ITgium le 10 janvier 2013
Les Récits de jùn mǎ 俊 马
de François de la Chevalerie, juillet 2010
Ce soir là, je n’avais nullement l’intention d’aller au restaurant.
Plongé dans la lecture de Guerre et Paix, j’avais hâte de poursuivre l’épopée napoléonienne de Tolstoï commencée une semaine plus tôt.
Sur le coup de six heures, voilà un appel de Sylvie Lin Jing, comme à l’accoutumée, la voix agacée, s’agaçant plus encore en me parlant.
La voix s’emballant, s’emportant.
Belle voix, entre mille !
Telle Bérénice, Reine de Palestine, convaincue que l’image perceptible de son désespoir serait sa meilleure force.
Sous un déluge de mots, je comprends qu’elle souhaite se faire inviter dans un restaurant tenu par des amis à elle.
Je proteste d’abord, évoquant la bataille de la Bérézina, ces hommes engloutis dans la glace.
Elle s’enflamme alors, lâche une valse d’épithètes, me tient responsable de tous les maux de l’humanité.
De guerre lasse, j’accède à sa demande.
Nous irons à l’Affini, un restaurant français, près de Zhongshan Park.
Le maître des lieux, Walter, est un homme dynamique à la silhouette légèrement enveloppée, aux yeux rieurs.
Il semble bien connaître Lin Jing puisqu’il la taquine aussitôt, s’amusant de sa robe noire, «sombre, trop sombre pour un lieu si charmant», dit-il.
Le mot est juste.
L’Affini est un restaurant chaleureusement décoré, empreint de douce gaité.
Des peintures du vieux Paris côtoient des bibelots chinois représentant des personnages de l’opéra traditionnel (xìqǔ).
L’un Zhengmo, l’autre Zhengdan.
D’entre les objets, un téléphone[1] presque centenaire dont j’apprends qu’il fut utilisé par Sòng Qìnglíng pour appeler ses sœurs, Sòng Àilíng et Sòng Měilíng, à venir la rejoindre à Chongqing alors capitale de la République de Chine en 1941.
Un événement historique car ce fut la dernière rencontre entre les trois sœurs par trop opposées politiquement et dont les trajectoires ne devaient jamais se retrouver.
Vient l’épouse de Walter, une belle femme au visage délicat et souriant, de son nom d’emprunt, Isabelle.
Prénom radieux, celui là, rappelant Isabelle Ire de Castille, apôtre de la Reconquista, dont j’ai admiré le portrait au Musée du Prado à Madrid.
Sur une messe basse, Sylvie Lin Jing me prévient aussitôt :
- Méfie toi, c’est une femme intelligente !
Je suis aux aguets, presque terrorisé, lorsque celle-ci vient nous rejoindre à notre tablée.
Forte de questions bien senties, elle sonde mon sérieux comme si elle agissait en action commandée pour Lin Jing.
Suis je seulement fiable ?
Comme évidemment, je ne le suis pas, je lui réponds de manière désordonnée, le mot hésitant, sans conviction.
Elle lève alors le camp, me salue bien bas.
Walter et Isabelle incarnent avec excellence l’amitié franco chinoise, l’un pour l’autre, unis inexorablement.
Toujours en catimini, Sylvie me dit que le couple s’essaye, la nuit tombée, à avoir un enfant lequel, une fois né, symbolisera l’entente entre les deux peuples.
- Sous ces meilleurs auspices, nous avons bien diné, une cuisine sobre : un ragoût de boeuf enlacé parmi une myriade de légume, le tout mâtiné d’une sauce légèrement sucrée.
S’ajoute un dessert fait maison qui m’a laissé avec une telle émotion que j’en ai pris deux parts, la mienne et celle de Sylvie Lin Jing, volée à l’arraché.
Une table heureuse, selon le mot prêté à Sacha Guitry.
Douce soirée.
Doux regards.
Cette fois, Sylvie était sereine et sage, comme portée par une espérance.
Sylvie, son monde entre cinq paradoxes.
Femme lettrée, dotée d’une forte sensibilité, elle nourrit l’espoir d’une existence banale et confortable, à l’ombre d’un mari quelconque, une vie sans âme.
L’esprit romantique, souvent la larme à l’œil, elle s’abime dans de sombres colères sans issue.
Femme d’une impeccable honnêteté, se gonflant parfois de mots à l’emporte pièce, elle pousse trop loin ses choix radicaux.
Le verbe talentueux, elle refuse de s’en saisir, écrit peu ou rien, sommeillant plutôt à l’ombre des grands écrivains.
Comblé par l’anonymat, elle ne veut pas entendre parler d’elle, s’aimant peut être trop peu pour être la plus belle.
L’âge venant, tout cela confondu, disséqué et broyé, donne un merveilleux roman, « Meredith, my uncreated 2050 Chinese girl ».
Affini-Thé
PHONE : 13817105928
ADDRESSE : 8 Pingwu Lu, near Yan’an xi Lu
[1] Connu comme étant la ligne téléphonique spéciale (2080)
Les histoires de Sylvie Lin Jing, femme de Shanghai
Mi Tierra
Un vrai restaurant mexicain, le merveilleux décor d’une hacienda.
Lorsqu’une chinoise durablement enracinée dans la Terre promise de Shanghai invite un mexicain dans le restaurant mexicain le plus huppé de la ville, cela sonne comme une belle promesse.
Lorsqu’elle cette même chinoise, probablement mariée, arbore une tenue franchement sexy, le corset légèrement ouvert, l’affaire est alors risquée
Voilà donc ce couple improbable se glissant dans une bâtisse blanche rappelant les belles demeures du quartier de la Condesa à Mexico.
Mi Tierra.
La sienne, se dit-il.
La mienne, mon pays, murmure Sylvie.
Pépé Gomez tient fermement Sylvie Lin Jing par la main comme pour montrer aux éventuels machos mexicains présents dans les lieux qu’il l’a entièrement en sa possession.
Un bien, en personne.
Un actif pour une gloire éphémère.
« Fasten your seat belts, it’s going to be a bumpy night » s’exclame Bette Davis dans mon film fétiche All About Eve.
Heureusement, aucun mexicain parmi les tablées.
Plutôt des couples chinois goûtant aux saveurs pimentés du Mexique.
Des femmes curieuses, plutôt bien mises, s’amusant d’une ambiance jamais vue à Pudong.
Des hommes, l’air ahuri, cherchant à satisfaire les besoins d’exotisme de leur compagne qu’ils jugent pourtant grotesques dans leur for intérieur.
Donc, de misérables couples chahutés par les voix des Panchos, chantant Historia de un amor.
Ils prennent une table dans un recoin dans une salle qui rappelle aussitôt à Pépé un restaurant à Zacatecas.
Ou un autre à Tijuana, Baja California.
Ou un autre à Patzcuaro, Estado de Michoacán.
Ou, à Colima, sa ville de naissance.
Il ne sait plus mais le décor ressemble fort à une Hacienda.
Les colonnades, l’ocre de rigueur.
Vases et nappes aux couleurs chatoyantes.
Détails soignés jusqu’au couverts venus tout droit de l’Etat de Jalisco.
Heureuse, Sylvie Jing danse des yeux sous la musique entraînante del Caballo Viejo.
Leur choix : des quesadillas, des crêpes au fromage.
Une flopée de sopitos, des enchiladas.
Mieux encore, un pozole, un ragoût de porc et de mais blanc, agrémenté de piment.
Le tout avec des bières Sol et Tecate.
- Raconte moi le Mexique, demande Sylvie à Pépé
- Là bas de l’autre côté, du rio Grande…
Elle l’interrompt brutalement :
- As tu jamais été marié avec une mexicaine ?
- Un mexicain se marie à vingt ans, puis une autre fois, à quarante ans avec sa maîtresse. Encore une autre fois, à soixante ans avec une autre maîtresse.
- Ainsi vous traitez vos femmes ?
Ils rient alors ensemble, bientôt s’acharnant sur une tortilla.
- Un jour, j’inviterai Thalia à Shanghai, suggère Pepe. Ou Salma. Ou les deux, l’on dansera alors jusqu’à l’aube.
- Arrête de rêver ! Tu n’es qu’un pauvre bougre, Pépé. Si je te laissais tomber, que deviendrais tu ? demande Sylvie, l’air minaudant.
- Je ferai aussitôt appel aux Narcos qui se feront un plaisir de plonger ton compagnon dans un bac de sodium.
- Je dois donc bien me tenir ?
- Seulement m’aimer ! Une chinoise amoureuse d’un affreux mexicain macho, quel merveilleux programme !
Les voilà, tout sourire, les mâchoires pleines de frijoles.
Du chile sur les lèvres, bientôt emportés pour la nuit.
Mi Tierra
Near Maoming Lu
近茂名路
Phone:5465-5837
Email:tierramexicana@gmail.com
Opening Hours:Tuesday to Saturday: Dinner: 5 pm – 10.30 pm, Sunday brunch 11 am -3:30pm, dinner: 5 pm – 10.30 pm
Price:Y200-Y299
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