Louer un appartement à Shanghai
Posté par ITgium le 18 janvier 2013
Le récit de jùn mǎ 俊 马 (François de la Chevalerie)
Sylvie Lin Jing est une femme au caractère bien trempé.
Douce et généreuse, parfois elle s’enflamme brutalement, s’emporte alors dans des cris de colère.
Voilà l’histoire de Hans Eberhard (dur comme un sanglier), originaire d’Ulm dans le Baden-Württemberg, un Allemand passionné de Goethe et de Schiller.
J’avais noué une relation sentimentale avec elle depuis seulement une semaine lorsqu’elle a insisté pour que je l’accompagne visiter un appartement.
- Il est temps de s’établir, nous devons avoir notre nid d’amour, affirmait-elle.
Je m’amusais d’une telle demande que je jugeais exotique.
Sont-ce là les us en Chine ?
Généralement en Allemagne, avant qu’un couple emménage sous un même toit, il faut plusieurs mois d’une relation solide, une année pleine, plutôt deux.
Ce qui n’est pas le cas en Chine.
Aussitôt dans les rets d’une femme, il faut trouver demeure.
Etrange coutume ?
Rite initiatique à l’usage d’occidentaux d’un genre fuyant ?
Malgré tout, bon enfant, je me pliais à l’exercice.
Sylvie a fait le choix du quartier de Pǔtuó Qū où les prix sont convenables « pour un homme comme toi un peu pauvre », a-t-elle aimablement précisé.
Il est vrai que ma fiche de paye de salarié d’une multinationale allemande n’a rien d’honorable.
Nullement n’ai-je une Ferrari !
Pauvre et corvéable, donc.
Rendu dans le quartier, nous avons fait la tournée des agences immobilières où des jeunes hommes sérieusement efféminés nous ont accueilli, le regard rieur.
- Je cherche un appartement en location avec cet homme, explique-t-elle à ses interlocuteurs en me lançant en même temps un regard hostile, une invitation à me tenir sage et soumis.
Ce jour là, nous avons arpenté beaucoup d’immeubles tous aussi affreux les uns que les autres, des empilades de béton montant au ciel.
Des appartements mal agencés.
Des décorations au goût inexistant.
Chaque fois, elle vantait l’environnement proche.
- Nous ne sommes pas loin d’un parc, nous pourrons danser le soir venu.
Ou d’un restaurant.
- Nous pourrons nous y rendre matin et soir tel un vieux couple.
- Ne sens tu pas le vent doux qui baigne cet appartement ? interroge-t-elle encore.
Un vent chargé de monoxyde de carbone, de dioxyde de soufre, de particules fines, marmonnais-je dans ma barbe.
- Que dis tu ?
Peu à peu, des questions chevauchaient mon esprit.
Pourquoi devrais je partager un appartement avec une femme dont je connais seulement le nom et quelques bribes ?
Pourquoi devrais je abaisser les critères tels que je les pratiquerais en Allemagne ?
Ne devrais-je pas attendre un an avant de me décider ?
Deux pour m’en assurer ?
De surcroit, pourquoi devrais je vivre dans un appartement lugubre avec vue plongeante sur une autoroute au milieu de l’effroyable enfer urbain de Shanghai ?
Pourquoi devrais-je me gaver d’un air pollué qui me rendra au mieux asthmatique, au pire le poumon gorgé de métastase ?
Est ce cela le but de ma venue en Chine que de m’étourdir ainsi ?
Au fur et a mesure, ma réticence augmentait, visible à l’œil nu.
Je cachais mal mon embarras, le visage crispé.
- J’en ai marre de toi ! lâche-t-elle, lisant parfaitement dans mes pensées.
Jene réagissais pas, faisant plutôt apparaître un soudain et opportuniste intérêt pour un appartement comblé par des toilettes à la turc.
Devrais je deux fois par jour me mettre à quatre patte pour lâcher quelque effluves ?
Je grimace plus encore.
- Tu es un imbécile ! s’exclame-t-elle.
Je réactivais aussitôt un semblant de curiosité pour une chambre sans fenêtre.
Dans mon for intérieur, je m’interrogeais.
Pourquoi devrais je être l’idiot utile d’une chinoise en quête de mari ?
Question philosophique à laquelle je n’apportais pas de réponse.
Au dixième appartement visité, alors que je lui déniais les qualités requises pour y aménager sine die, elle a plissé les yeux, bombant le torse.
- J’en ai marre de toi !
Sur mon visage un sourire nerveux suintant l’ennui.
J’ai alors reçu une premier gifle.
Une seconde, plus lourde.
Une troisième égratignant le nez.
Le vendeur de l’Agence a aussitôt compris que nous ne ferions pas affaire.
Il nous a reconduit au bas de l’immeuble.
Là, je recevais la tarte de ma vie, une avalanche de gifles.
Des gifles radicales, crevant mes veines.
Le tout se mêlant à une pluie d’insultes.
Autour de nous, bientôt un attroupement
Des regards surpris.
- Pourquoi ce lǎowài chahute-t-il une des nôtres ? s’interroge une vieille Dame.
J’ai alors pris la tangente, bientôt m’éloignant
Déjà courant.
Courant toujours plus vite.
Direction l’aéroport de Pudong.
Le premier vol à destination de Frankfort.
Retour à mon doux pays
Vers des femmes de bon aloi.
Calmes et sages.
Sérieuses.
Le temps d’aimer, sans hâte, sans pression
L’oreille à l’écoute d’Erlkönig, le merveilleux poème de Goethe sur la superbe mélodie de Schubert.
Relisant le poème Nachgedanken d’Heinrich Heine, ses vers sanglés dans l’espoir.
Denk ich an Deutschland in der Nacht,
dann bin ich um den Schlaf gebracht…
Relisant encore le poème de Vorfrühling de Hugo von Hofmannsthal.
Es läuft der Frühlingswind
durch kahle Alleen
seltsame Dinge sind
in seinem Wehen.
L’Allemagne !
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