Le baiser chinois
Posté par ITgium le 17 juillet 2013
Le récit de jùn mǎ (俊 马) et les dessins de Sà bīn (萨宾)
Le baiser chinois est-il différent d’un baiser issu de toute autre région du monde ?
Existe-t-il un baiser labellisé Chine, comme la marque de fabrique d’un peuple ?
D’emblée, la réponse serait plutôt non.
Le baiser, fut-il chinois ou sénégalais, salvadorien ou irlandais, est bien cette empreinte charnelle s’en allant d’un museau vers une bouche.
Cependant, loin des effusions chaleureuses dans la Villa Borghèse à Rome ou au parc Monceau à Paris, les Chinois s’y prêtent avec discrétion.
Beaucoup jugent obscène de le pratiquer en public sous un ciel généreusement étoilé.
Rares sont les jeunes gens osant d’heureux rapprochements dans les jardins publics de Pékin ou de Shanghai.
Pour nombre de chinois, le baiser est un geste exclusivement sexuel donc une affaire privée loin de tout regard.
Même le baiser purement affectif d’un père à son fils est source de gêne. Presque inconnues sont les embrassades de retour de vacances ou à l’annonce d’un succès à un examen. Même embarras chez les jeunes mamans lesquelles nourrissent leur nourrissons de seuls et rares baiser furtifs.
Connaitre le baiser chinois
Du coup, la connaissance du baiser chinois est incertaine.
Comment le piéger ?
Respectant la vie d’autrui, nous nous sommes bien gardé de placer des cameras cachées dans des chambres d’hôtel. Pour toute matière, nous disposons seulement de bribes d’informations. Certains expatriés ont aimablement répondu à notre questionnaire fort sommaire.
Une seule interpellation :
Le baiser chinois est-il mémorable ?
- Le baiser chinois est indistinct du baiser anglais. C’est une affaire de temps et de moyen, rapporte James de la Tornay.
- J’ai bien cherché l’ivresse, poursuit un autre, j’ai rencontré ou de la tiédeur ou de l’emballement, rien d’exclusivement chinois.
- Si on m’avait demandé d’embrasser une chinoise à l’aveuglette, je n’aurais vu qu’une femme aimante. Femme et aimante, le reste est accommodement.
Déconstruire le baiser chinois
En chinois, le baiser se confond avec la bise, le même mot (wěn 吻) les désignant indistinctement. Selon une hiérarchie établie, l’on fait la bise à sa vieille tante, l’on accorde son baiser à sa belle. Pour les occidentaux, la différence est entendue mais en Chine comme ni l’un ni l’autre ne se pratique, ce commentaire est sans objet. Toutefois, je relève dans un roman ce bel alliage : tendre baiser (xiāng wěn 香吻).
- Vous lisez fort mal notre langue, commente mon professeur, il ne s’agit que d’un baiser platonique.
Je proteste en lui montrant une autre page où apparaît une formule insensée, donner un baiser (jiē wěn 接吻). Il regarde l’ouvrage, s’étire dans son fauteuil.
- C’est comme donner un cadeau, rapporte-t-il, juste une formule de politesse.
- Que faites vous alors du baiser d’adieu (wěn bié 吻别) ?
- Le baiser d’adieu est souvent celui du mourant. Qui l’accueille avec plaisir ?
C’est alors que je sors de mes gonds.
- Mais que dites vous alors d’une manière d’embrasser par l’étreinte (lǒu bào 搂抱).
Une gêne dans le regard du professeur.
- Pensez plutôt a donner le baiser de paix (qn yán guī yú hǎo 言归于好)
Pensez encore à votre prochaine leçon, vous êtes très faible sur les tons !
Totalement détruit par cette discussion, je me suis rendu au Bookworm[1] dans le quartier de Sānlǐtún (三里屯) où je retrouve mon ami américain, Harvey. Je l’interroge à son tour. Il pouffe aussitôt de rire.
- Un seul mot fait l’affaire, dit-il d’une voix rauque, cào (肏). Au choix, baiser ou niquer. La prudence étant bonne conseillère, même l’occidental le plus intrépide ne se hasardera pas à une telle confusion.
Les chinois ont inventé le baiser comme la poudre.
Comme je ne recevais aucune réponse, je me suis rendu dans la bibliothèque de l’université de Tianjin (天津大学). Je tombe alors sur l’ouvrage d’un père jésuite, Anxmandae de Leira, datant de 1784, “les inventions du peuple chinois » zhōng guó fā ming (中国 发明), écrit entièrement en chinois. Je feuillette l’ouvrage, tournant hâtivement les pages. Une tête de chapitre retient mon attention : « Modélisation du baiser chinois ».
“Tandis que dans les cours européennes, l’on se courtise par le regard, les déclamations de poèmes, les odes, une gestuelle bien ordonnée, en Chine, l’on n’avance d’un pas étrange. Dans ses vingt ans, pas au delà, un homme harponne sa promise par la bouche. Sans trop de révérence, Il s’y prend en un éclair de temps, d’une bouchée, qu’elle le veuille ou pas. Lorsqu’il atteint son but, il claironne, tourne sur lui même, puis se frappe le dos, les jambes. Que n’a-t-il pas accompli ? L’impensable, le premier baiser du monde ! »
Figures géométriques du baiser chinois
Le baiser est une invention chinoise mais est-il seulement destiné à se faire plaisir ?
Si peu ! admet l’astronome Shi Shenfu (石申).
Se construisant autour de figures géométriques, le baiser chinois est une mécanique.
Selon cette perspective, la bouche est un volume laquelle avance en ligne droite ou courbe vers un autre volume. Une ligne continue, parfois discontinue, souvent une ellipse, s’en allant d’un point identifié vers un autre. Se jouxtant finalement, les bouches ondulent. Une ondulation presque millimétrique. Peu à peu, les bouches s’organisent dans les formes d’un dodécagone irrégulier. Les pointes extrêmes sont comme des vecteurs d’énergie.
Ainsi ce geste – en apparence sommaire, galvaudé et instinctif – frôle la perfection.
- La rencontre corporel de deux individus est souvent dramatique, admet Liu Wei, professeur de physique à l’université de Hengyang L’approche géométrique chasse l’émotion tout en préservant le désir sexuel.
- Je me suis exercé à une telle approche, soupire Harvey. J’éprouvais tellement de fatigue à me maintenir dans les courbes que j’ai abandonné en rase campagne. La jolie chinoise qui se tenait toujours à l’affut devant mes lèvres m’a alors dit : « Tu n’as pas l’esprit mathématique ! »
Le baiser chinois, pièce maitresse du fēng shuǐ 风水
Le fēng shuǐ (le vent et l’eau) s’invite-t-il dans la ronde pour exacerber le qi (氣/气) ?
Le baiser n’est pas un mouvement neutre.
Il consacre la rencontre du Yīn (阴) associé à la Lune (月) au Yáng (阳) lié au Soleil (日), le choc entre les mondes féminin et masculin, souvent irréconciliables.
Malgré les antagonismes souffle un espoir insensé.
La configuration des lèvres et les langues entrelacées dépeignent des mécanismes terrestres, humains et célestes, la raison d’être du feng shui et dans les courbures, l’amour.
Sylvie lín jìng ou le baiser sous les étoiles
Une soirée sans nuage, doux vent de l’ouest, température clémente.
A quelques encablures, les 13 sommets de la montagne Meili culminent à 6000 m d’altitude.
Bu Nong a l’œil sur Vénus. Six heures à l’horloge, l’astre crâne dans le ciel !
Alors qu’il l’observe, un chant mélodieux se répand. Il invite alors Sylvie lín jìng à regarder la Lune, la mer de la tranquillité, vaste vallée cisaillée de crevasses. Leur regard s’aventure ensuite vers Jupiter, l’œil moqueur, balayé de mille couleurs. Dans la ronde, ses filles, Europa et Ganymède.
Puis un silence que vient rompre un léger bruit de feuillages.
Soudain Bu Nong s’élance sur Sylvie lín jìng, s’empare de ses lèvres. Elle ne s’en étonne presque pas, suit le mouvement.
Bu Nong se replie, raconte alors l’enveloppe majestueuse de Deneb, s’enthousiasme pour la nébuleuse du cheval.
Un silence encore, plus durable celui-là.
Puis il prend la main de Sylvie lín jìng. Un baiser comme deux, s’en allant, venant.
Dans la mêlée, elle défriche son visage, croque ses oreilles, le goûte.
Quel drôle d’homme ? pense-t-elle.
Le baiser se prolonge. Les langues se cherchent, se bousculent.
Doucement, les voilà chaudement arrimés l’un à l’autre.
Pendant ce temps, des étoiles filantes tracent des sillons dans le ciel.
Sonne alors une cloche, un son léger comme un bruit de paille.
Sonnent plusieurs cloches, puissantes et charnelles, égrenant leur rythme.
Sonnent les cloches à la volée, tonnerre dans l’atmosphère.
Puis, le silence revient.
Le couple enlacé murmure.
La nuit est calme, imperturbable.
Belle nature !
Le baiser du malheur (article de presse)
Un baiser passionné a entraîné une perforation du tympan chez une jeune femme dans le sud de la Chine, ont rapporté les médias qui prodiguaient lundi des conseils sur les moyens d’éviter un accident aussi fâcheux.
La jeune femme âgée d’une vingtaine d’années, de la ville de Zhuhai, dans la province du Guangdong, a été soignée à l’hôpital après avoir totalement perdu l’audition dans l’oreille gauche suite à un baiser passionné échangé avec son amoureux, a expliqué le quotidien China Daily.
« Le baiser a réduit la pression dans la bouche, exercé une forte tension sur le tympan et entraîné une surdité », a expliqué le Dr Li qui a soigné la jeune femme et estime qu’elle sera guérie dans les deux mois.
Après l’incident, la presse a dispensé à ses lecteurs des conseils en matière de baisers, notamment le Shanghai Daily, qui recommandait une certaine délicatesse.
« Un baiser trop fort peut provoquer un déséquilibre de pression de l’air dans l’oreille interne et déchirer le tympan », avertissait le quotidien dans un article intitulé « le baiser de la mort ».
[1] Bar anglophone
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