Jacques Revaux, la chanson française en Chine
Posté par ITgium le 16 mars 2015
Etude à l’Université de Nankai (南开大学) à Tianjin de la Chanson « My way » (Wǒ de lù 我的路) composée par Jacques Revaux et Claude Francois
Le récit de jùn mǎ 俊 马 故事 (François de la Chevalerie)
Au département de musicologie de l’Université de Nankai (南开大学) à Tianjin, toutes les audaces sont possibles toutes les fois qu’elles ne débordent sur le champ du débat politique.
Silence dans les rangs, l’on s’osera seulement à évoquer une matière brute, tout ce qui ne nuit pas à l’harmonie du peuple chinois (hé shēng 和声).
Aujourd’hui, le thème du jour semble improbable.
L’étude d’une chanson occidentale. Jamais auparavant, une telle initiative n’avait été lancée.
J’en suis peu ou prou le responsable, ayant suggéré l’idée au Président de séance, Mao Dun (茅盾).
Soyez rassuré ! Nullement est-il de la même ligne que le timonier bien connu.
Professeur émérite à l’Académie, plutôt que les harangues, il manie avec aisance le gǔqín (古琴) et le gǔzhēng (古筝 ), des instruments de la famille des cithares sur table.
Comme ce dernier me demandait un jour si je connaissais une chanson d’un Laowai[1] (老外) valant le détour, pris par surprise, je bafouillais.
Je cherchais alors dans les astres quelque refrain ayant émaillé ma jeunesse. Peine perdue, nul titre ne revenait à mon esprit lorsque je me suis souvenu d’une rencontre dans un hôtel Parisien.
J’avais été reçu par Jacques Revau dont je ne sais toujours pas si son nom s’achève par un (x) ou par un (d). Les avis divergent à cet égard, le premier serait son nom de scène, le second son nom de ville.
Faisons avec le second !
Jacques Revaux est un personnage tout en couleur à la gestuelle alerte.
Le verbe bien nourri, il est de toutes les réflexions, s’emballe autant contre le convenu.
Il est surtout un compositeur talentueux. Au compteur, on lui prête deux mille chansons dont beaucoup gavent, la nuit tombée, les cœurs esseulés.
J’ai donc vendu « my way » au Président Mao.
- Quelle imprudence ! Seulement les héros font leur chemin ! Cet homme est-il de la race des héros ?
J’ai alors botté en touche en précisant que le titre original de la chanson était « Comme d’habitude » (zhào cháng 照常).
- C’est moins prétentieux, vous savez, nous les chinois, nous n’aimons pas nous mettre en avant et moins encore lorsque la mort guette.
- Cet homme est-il bien disposé avec la Chine ? demande-t-il.
Où m’étais je aventuré ? Que sais je de la vie de Jacques Revaux ? Quelques notes tout au plus ! Aussi loin que je me souvienne, je ne crois pas qu’il ait jamais été le compagnon de route de Richard Gere, l’indéfectible soutien du Dalai Lama. Nullement son avocat, Édouard Campbell, m’a-t-il autant fait part de combats de rue, de clameurs. « Il est propre » me suis je dit, nullement dans la ronde. Je l’inventorie plutôt comme un ménestrel, un troubadour. Tout à cette assurance, j’ai lâché l’heureuse bénédiction :
- C’est un artiste !
- De quel signe est-il ? demande-t-il encore.
- Un dragon, cet homme ! (lóng 龙)
- La Dragon est un être doté d’un fort pouvoir de séduction. On l’aime au premier abord. On aime sa sincérité, ce goût de l’autre. Son caractère n’en est pas moins solide. Nullement se laisse-t-il abattre. Quand il sent poindre une ombre indélicate, il se meut davantage, pousse l’avantage. De là, une dominante, le yang. Bien souvent, au hasard des chemins, la chance lui sourit. Il sait la transformer en matière, en richesse. Cependant, une larme au tableau. Il n’est jamais vraiment satisfait. Mille vies ne lui suffiraient pas pour être entièrement heureux.
- Je vois un refus...
- Non ! Je vous fais confiance, Junma, mais sachez que celle-ci n’est jamais entièrement donnée à un homme car autant qu’une femme, il est de nature variable.
Le Président Mao en a aussitôt référé au conseil d’administration de l’Académie de Musique lequel s’est réuni en conclave.
Selon les échos que j’ai recueillis, le débat a été intense, presque houleux. D’un côté, les partisans de l’ouverture ; de l’autre, des traditionalistes un brin nationalistes, chacun campant sur des positions de principe.
Du coup, la chanson a été disséquée, mot par mot.
Longtemps les caciques cherchèrent le venin, la note contre révolutionnaire, le rythme décadent, le slogan subliminal et même en filigrane, l’inacceptable, l’arrogance occidentale.
Finalement, les frondeurs abaissèrent leur tir. Tout de même, ils imposèrent au Président Mao de tenir rigoureusement son assemblée. « Ne laissez pas des ondes malveillantes s’engouffrer ! » lui recommanda-t-on.
Tout n’est pas bon à dire à minuit encore moins en Chine populaire.
Vient le jour du débat.
Dans un hémicycle de l’université de Nankai (南开大学), je prends place parmi un public composé de professeurs, des retraités et d’étudiants.
Seul étranger, je joue de discrétion, siégeant dans un coin d’ombre.
- Cette chanson a fait le tour du monde plus de cent mille fois, lance le Président Mao. Plus encore, elle poursuivra sa route aussi longtemps que la Terre existe.
Aussitôt, le Président actionne son ordinateur.
Le gangster d’Hoboken est de service. Une voix pure, tombant du ciel, un ensemble de cordes parfaites, Franck Sinatra (法蘭·仙納杜拉) s’impose.
Suit Elvis Presley (埃爾維斯·皮禮士利) dont on sent les souffrances, une vie se terminant à Aloha dans l’île de Hawaii. Le salut de l’artiste avant le grand départ.
Vient Nina Simone, rythme plus cadencé, gonflé de calypso, bientôt des pas de danse.
Six fois, « my way » retentira dans la salle avant que le Président Mao reprenne la parole.
- Cette fois, je pense que votre cerveau la fait sienne, du moins, pour l’heure qui suit. Première question qui me vient à l’esprit : comment nait une chanson ? Je laisse aux bons soins du Professeur Zhāng Bào (张宝) d’en décrire le processus.
Ce dernier est l’archiviste de l’Académie. L’allure martiale, il ne se départ jamais de son sérieux, toujours là pour pointer la difficulté de l’existence. D’ailleurs…
- Toute chanson nait dans la douleur, commence-t-il d’une voix grave. Vous cherchez longtemps la rime miraculeuse et vous ne trouvez rien. Vous vous enfermez dans un studio, jonglant avec les meilleurs équipements, ferraillant avec des musiciens de talent, malheureusement l’enlisement guette. Vous travaillez les cordes, vous faites vibrer les voix, s’annonce un plongeon dans le néant. Vous composez deux notes toutes aussi plates. Deux autres, autant lourdes. Trois autres, sans allant. Vous reprenez tout depuis le début, méthodiquement et méticuleusement, vous vous étouffez vous même. Le calvaire du musicien, sa page blanche. Qu’ai je fait au monde pour mériter une telle déconvenue ? se demande-t-il.
- Faisons violence au destin ! Jacques Revaux décide de profiter de l’heureux soleil qui comble l’été de l’année 1967, reprend le professeur Mao. Le voilà, les pieds chatouillant une piscine dans un jardin bien fleuri. A ses côtés, un chanteur de variété connu sous ces latitudes, Claude Francois.
Décidément, rien n’appelle au travail.
« Je n’étais pas très fier quand je m’étais installé sur la pelouse le long du bassin miroitant » précise-t-il dans son livre.
Plutôt que de s’embourber à la recherche de compositions introuvables, mieux vaut prendre du bon temps, respirer le bon air. Juste contempler.
Les deux hommes s’émerveillent à la vue d’un Paon-du-jour.
Ses ocelles vifs sur un fond vermeil l’imposent à l’horizon. Le papillon butine des pissenlits, puis des marjolaines. Suit un coup de vent, il s’ébroue dans les airs, caresse des arbres. Le voilà survolant la piscine. Tel un appel.
Au moulin de Dannemois, l’humeur est heureuse.
Jacques joue à la guitare la chanson.
Nos deux hommes se consultent du regard en silence.
Revient le papillon dans le sillage. Il semble encore plus coloré qu’il ne paraissait au premier abord. Bientôt audacieux, il voltige autour d’eux.
Jacques reprend la guitare, poursuit dans les gammes. Les sons s’étoffent, gagnent en épaisseur. Cette fois, l’irrévocable s’annonce. La musique a belle allure.
S’en félicitant, les deux compères plongent dans la piscine.
La genèse de « my way » est née d’une apparente paresse, commente le Président. Surpris par la présence du papillon, les deux hommes se laissent naturellement porter par leur élan.
Si quelqu’un les avait observés par le trou de la serrure du temps, il les aurait pris pour une bande de doux rêveurs.
L’heureux coup de folie a porté !
Quelques mois après, la chanson bruit sur les ondes.
Le Président Mao raconte alors l’épopée.
Des voix la portent aux quatre coins du monde jusque dans les contreforts des Appalaches, dans l’ile de Guam, sur la base de Danang au Vietnam, à Acapulco, à Tampico, à Cuzco.
Chez nous encore, au pied de la montage sacrée de Héng Shān dans la province du Hunan, elle inspire un jeune couple tout occupé à tracer le chemin de la vie.
Une jeune femme se lève dans l’hémicycle.
- Cette chanson s’offre tel un élixir, dit-elle. Elle vous protège contre les mauvaises migraines. Vous vous enveloppez dedans et alors vous vous sentez bien mieux.
- Les paroles se glissent merveilleusement dans la musique. L’un accompagne l’autre sans effort, poursuit un étudiant.
- Monsieur Junma, qu’en dit l’homme que vous connaissez ?
- Il s’émeut que son pays propre pays ne le reconnaisse pas à sa juste mesure. Il s’en répand jusque dans son pays natal à Azay sur Cher. Jusqu’en Chine.
- les « fous visionnaires » ont souvent raison avant tout le monde, interrompt le Président Mao. C’est pour cela que le chemin de la Victoire est semé d’embûche. Lorsque celle-ci éclate au grand jour, ils ne doivent jamais se faire d’illusion. Ils trouveront toujours des voix pour railler leur entreprise. On le sait depuis toujours, les couronnes ne valent rien, seule compte l’idée que l’homme se fait du monde. Une chanson est une arme redoutable. Elle s’impose. Il s’impose. Et, pour le reste, que l’artiste se prenne pour un papillon, comme Zhuāng Zǐ (莊子), ainsi il survolera le monde, heureux, s’en allant de cap en cap.
Vient le mot de la fin.
- Ce Laowai[1] à la couleur de chèvre a fait oeuvre utile ! Fermons le ban !
[1] Le mot chinois désignant les étrangers
Note : Le livre de Jacques Revaux « Ils ont tous chanté mes chansons » a été publié aux Editions Ramsay (2014)
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